
Parmi les grandes absentes de notre époque, il y a la transcendance. Non pas forcément celle des dogmes ou des croyances religieuses strictes, mais celle, plus subtile, qui nous relie à quelque chose de plus vaste que nous.
Pendant des siècles, les civilisations ont été structurées autour de récits sacrés, de rites, de symboles, de traditions qui inscrivaient l’existence individuelle dans une continuité, dans un ordre cosmique, dans une histoire qui dépasse la seule biographie. Aujourd’hui, ces récits se sont effondrés. Et pour beaucoup, le monde s’est aplati.
Tout est devenu ici-bas. Tout est mesurable. Tout est marchandable. Et ce qui ne peut être prouvé, monétisé ou quantifié… est souvent relégué à l’irrationnel ou à l’inutile.
Le besoin d’élévation, une constante humaine
Et pourtant, le besoin de transcendance est universel. Ce n’est pas un luxe. C’est une composante fondamentale de la condition humaine.
Le psychiatre Viktor Frankl, dans Man’s Search for Meaning, écrivait que l’homme ne peut survivre sans une forme d’orientation spirituelle, un « pourquoi » qui dépasse le simple plaisir ou confort.
Qu’on l’appelle Dieu, beauté, mystère, nature, justice ou amour, l’élan vers plus grand que soi est ce qui permet de traverser la souffrance, de supporter l’incertitude, de trouver une verticalité intérieure quand tout vacille à l’extérieur.
Une culture du profane sans contrepoids
Dans une société sécularisée et technologique, tout devient fonctionnel. L’éducation vise la performance. L’art se transforme en produit. Le langage se désenchante. Même les moments forts de l’existence — naissance, mort, amour, deuil — sont souvent gérés comme des procédures.
Or le sens ne se loge pas toujours dans l’efficacité. Il naît souvent dans le symbolique, le rituel, le silence, l’émerveillement.
Le sociologue Marcel Gauchet a parlé de la sortie du religieux comme d’un gain d’autonomie, mais aussi comme d’un appauvrissement symbolique. On ne croit plus. Mais on n’a toujours pas trouvé par quoi remplacer ce vide.
Revenir au sacré sans revenir au dogme
Il ne s’agit pas ici de revenir en arrière, ni de prôner un retour forcé à la religion. Il s’agit de reconnaître que nous avons besoin de lieux, de temps et de gestes qui donnent une épaisseur au réel.
Cela peut passer par la spiritualité libre, la contemplation de la nature, l’art profond, la méditation, la musique, l’engagement désintéressé, ou même la simple gratitude. L’essentiel, c’est de renouer avec quelque chose qu’on ne contrôle pas totalement, mais qui élève, qui relie, qui décentre.
Sans transcendance, le monde devient plat. Et dans un monde plat, le sens se noie dans l’immanence.
La prochaine et dernière réflexion de cette série portera sur ce que nous pouvons faire, à notre échelle, pour réenchanter le réel. Car si le sens est fragile, il est aussi cultivable.

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