Le malaise du confort – Réflexion 2 — L’anesthésie numérique : Fuir le vide par le bruit


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Il y a des silences qui dérangent. Des moments d’arrêt, de lenteur, où une question simple émerge : Qu’est-ce que je fais de ma vie?
Mais avant qu’elle ne prenne forme, une notification s’affiche. Une vidéo démarre. Un fil s’ouvre. Et la question disparaît.

Nous vivons dans une époque où tout est conçu pour éviter le silence. Où la moindre attente, la moindre hésitation, la moindre solitude est comblée — instantanément — par une forme de contenu. Ce n’est pas forcément malveillant. C’est simplement devenu notre réflexe.

Mais ce réflexe, aussi banal soit-il, nous éloigne insidieusement de nous-mêmes.


Le cerveau accro à la stimulation

Le cerveau humain n’a pas évolué pour gérer des flux d’information permanents. Il est câblé pour réagir à la nouveauté, à la surprise, à l’émotion. Chaque fois qu’on « scrolle » ou qu’on regarde une vidéo courte, une petite dose de dopamine est libérée — le neurotransmetteur associé à la motivation et à la récompense. Ce mécanisme est naturel. Mais à force d’être sollicité en boucle, il crée une saturation du système de récompense, qui affaiblit la capacité à ressentir du plaisir dans des activités plus lentes, plus profondes, moins spectaculaires (cf. Volkow et al., 2004).

Le neuropsychologue Michel Desmurget, dans La fabrique du crétin digital, va plus loin : il parle d’un « braconnage attentionnel », où les technologies capturent notre attention non pas pour l’élever, mais pour la rentabiliser. Résultat : une difficulté croissante à se concentrer, à réfléchir, à rester dans l’inconfort nécessaire à toute construction de sens.


Le bruit comme écran au vide

Mais pourquoi cette fuite constante dans le bruit?

Parce qu’il est moins douloureux de se distraire que de se confronter à soi. Penser à sa vie, à ses incohérences, à sa solitude, à sa vulnérabilité demande du courage. Et le numérique offre une alternative facile : l’oubli momentané. Une sorte d’anesthésie douce, accessible à volonté, sans jugement.

Le psychologue Sherry Turkle, dans Alone Together, montre que le numérique crée une illusion de relation, d’activité, de stimulation, tout en nous maintenant à distance des vraies émotions, des vraies présences, des vrais questionnements.


Le danger de l’évitement perpétuel

Or, fuir constamment le vide ne le fait pas disparaître. Il s’accumule en silence. Il se traduit par une fatigue sans nom, une agitation permanente, une sensation de déconnexion. À force d’être toujours distraits, nous perdons le contact avec notre intériorité. Et avec elle, la possibilité même de nous demander ce qui fait sens.

La philosophe Simone Weil disait : « L’attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité. » Aujourd’hui, elle est aussi un acte de survie existentielle.


Ralentir pour ressentir

Retrouver du sens, ce n’est pas ajouter quelque chose. C’est souvent enlever. Faire du vide, non pas pour fuir, mais pour habiter l’espace intérieur. Cela demande de réapprendre à être là, sans stimulation, sans performance, sans réponse immédiate.

C’est un geste simple, mais radical : poser son téléphone, fermer les écrans, rester quelques instants avec soi. Pas pour fuir le monde, mais pour enfin commencer à y entrer vraiment.


La prochaine réflexion portera sur un autre pilier fragilisé de notre société : le travail. Autrefois moteur d’identité et de fierté, il est devenu, pour beaucoup, source de fatigue, d’absurdité, voire de désenchantement.

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