Il y a quelque chose d’indéfinissable dans l’air. Une sorte de fatigue morale, un brouillard existentiel qui ne dit pas son nom. Ce n’est pas la tristesse. Ce n’est pas le désespoir. C’est plus subtil que ça. Un sentiment de vide. Comme si, malgré les opportunités, malgré les options, malgré le confort matériel, quelque chose manquait. Et ce quelque chose, c’est le sens.
Nous vivons dans une époque où tout semble possible. Les frontières tombent, les identités se fluidifient, les parcours se personnalisent. Mais à mesure que les repères s’effacent, le cap, lui, devient flou. On ne sait plus vers quoi orienter sa vie.
Le recul des grands récits
Autrefois — pas si loin, en réalité — le sens de la vie s’inscrivait dans un récit plus grand que soi. La religion, la tradition, la famille, la patrie ou encore le travail offraient une direction. Bien sûr, ces cadres avaient leurs limites, parfois rigides ou injustes, mais ils avaient le mérite d’ancrer l’existence dans quelque chose de plus vaste, de plus durable.
Aujourd’hui, ces récits sont en crise. Ils ne parlent plus à la majorité. Le sacré s’est effondré, le collectif s’est fragmenté, et l’individu s’est retrouvé seul à devoir inventer sa propre légende.
Le sociologue Zygmunt Bauman parlait de « modernité liquide » pour décrire ce monde sans structures stables, où les engagements sont réversibles, les identités mobiles, et les appartenances temporaires. Dans un tel univers, rien ne dure vraiment, et donc, rien ne soutient profondément. On flotte. On dérive. On improvise.
Trop de choix, pas assez de direction
Dans cette nouvelle ère, l’individu est libre. Mais cette liberté, sans cap, devient parfois un vertige. Quand tout est possible, plus rien ne semble essentiel. Quand tout peut être choisi, plus rien ne semble vital.
Le philosophe Barry Schwartz, dans The Paradox of Choice, montre que l’abondance de choix ne rend pas plus heureux — elle paralyse, elle insécurise. Le sens se construit dans l’engagement, pas dans la consommation infinie d’options.
La déliaison du monde réel
À cela s’ajoute un autre facteur : la perte du lien avec la réalité concrète. Dans un monde de plus en plus numérique, désincarné, médiatisé, on vit souvent à distance de l’action, des autres et de soi-même. On gère des écrans, des notifications, des impressions — pas des expériences tangibles.
Or le sens se nourrit du réel. Il pousse dans la lenteur, dans la difficulté parfois, dans l’expérience incarnée. Une société qui valorise le flux plus que la profondeur prépare sans le vouloir un terrain fertile pour le vide.
Et maintenant?
Ce premier constat n’a pas pour but de noircir le tableau, mais de nommer un malaise que beaucoup ressentent. Il ne s’agit pas de regretter le passé ou de rejeter la liberté. Il s’agit de reconnaître que la disparition des anciens repères a laissé un vide… et que ce vide appelle une reconstruction.
La quête de sens, aujourd’hui, n’est plus une transmission. C’est un travail. Un choix. Une construction personnelle, certes, mais qui gagnerait à être collectivement reconnue comme essentielle.
Ce sera l’objet de la suite de cette série.


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